nuago

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Dzien dobry

Ce texte a été publié une première fois chez @KalimSohan merci à lui. Ce fut mon premier texte publié. J'ai souffert, parce que je remets toujours au lendemain, parce qu'il a fallu plonger dans des souvenirs pas toujours heureux, mais j'ai été encouragée. Maltraitée, déstabilisée certes mais aimée.

http://sohankalim.tumblr.com/post/72221034015/dzien-dobry

Merci.

 

"Les gens qui viennent du tiers monde sont les plus nomades. Ils additionnent les identités, ça protège des angoisses identitaires".
Dany LAFERRIERE, romancier, académicien

Je suis née en France de parents qui parlaient une langue que je ne comprenais pas, une langue qui n’était pas parlée dans la rue, une langue pleine de consonnes et de r roulés, une langue parlée entre vieux : le polonais ; les jeunes ça parlait français.

Ça parlait français à l’école, l’instituteur avait un nom français, pas de consonnes entremêlées, juste un r au milieu, Monsieur Durant, que mon père faisait exprès de dire Durrrrrrant pour m’énerver. « Ma chérrrrrrrie, c’est ma langue ».

Quand il distribuait les bulletins de notes Monsieur Durant, ça commençait toujours par moi …iak, puis mon amoureux secret …wski, ma copine Dorothée …czak troisième et ensuite ça se déroulait jusqu’à ce que certains noms à la fin retiennent mon attention, pas de lettres entremêlées non plus. Monsieur Durant disait « alors les français encore à la traîne ». Moi j’avais un petit peu honte d’être passée devant les français une fois de plus, les pauvres c’était leur pays et on leur passait devant.

Mais tant pis, je ne pouvais pas faire autrement.

Au collège, les profs avaient tous aussi des noms sages et l’un d’entre eux s’est arrêté un jour en donnant les résultats. « Regardez moi ça les français, vous avez tous des notes en dessous de la moyenne, prenez exemple sur les polaks ».

A la récré, ça avait fait débat entre nous, les uns voulaient en parler à leurs parents, les autres non surtout pas, après tout le prof nous avait mis à l’honneur. Un copain est intervenu, il est resté trois mois au collège, ses parents déménageaient tout le temps. « Eh qu’est-ce que ça peut foutre, vous êtes toujours ensemble, vous ne vous mélangez pas aux autres, c’est votre faute, je vais en Suisse vous croyez qu’ils parlent quelle langue là bas ».

C’est vrai qu’on était toujours ensemble, forcément, on habitait le même quartier de maisons alignées, nos parents se connaissaient et parlaient ensemble leur r, ils exerçaient le même métier, mineur de fond, ils allaient à la même boucherie polonaise, le même boulanger polonais, la même église polonaise. Ma grand-mère a vécu ¼ de sa vie en Pologne et les ¾ en France. A sa mort, elle ne parlait toujours pas le français, quelle importance, l’air qu’elle respirait était polonais.

Lui le futur suisse ne faisait que voyager, quelles racines avait-il ? En avait-il ? C’est quoi une frontière ? Une barrière de langue, une barrière de vie ?

Je ne me sentais pas bien ici, pas « intégrée », pas née ici. J’étais ma grand-mère, venue d’ailleurs, mon prénom le prouvait, barbare avec un a féminin. Ma grand-mère était née là-bas, mes parents tout juste ici et naturalisés. Il fallait toujours préciser « eux sont nés ici ». 
Un copain me dira plus tard que « non, les maghrébins sont intégrés, toi tu es assimilée ». Considérée comme semblable. Ah ben merci de m’accepter à ta hauteur. Voilà je n’étais pas comme lui, ni tout à fait une autre, mais « acceptée comme ».

Il faut bien l’avouer, l’arrivée des maghrébins a retiré un poids sur toutes ces questions. Avec toute la panoplie de propos injurieux à leur encontre, ils étaient arrivés dans notre environnement sociétal. Parqués en HLM, comme nous dans les corons, ils osaient en sortir et revendiquaient le droit à l’acceptation des français. Une reconnaissance légitime mais vaine. Les problèmes d’intégration se détournaient de nous. Finalement, voilà plus de problème avec nous, on nous tolérait, voire même on devenait nos amis. Après tout, nous sommes de type caucasien, (même plus caucasien que les français d’ailleurs) et catholiques. Nos églises sont des églises, toujours fréquentées, et les curés ne sont pas en voie de disparition. Nous aimons la fête, les danses folkloriques font le bonheur des samedis soirs. Sans compter notre gastronomie. Voilà culturellement nous étions parmi vous, reconnus comme bosseurs, durs à la tâche, buvant comme des trous mais des cousins respectables.

J’ai donc fui les églises, arrêté de manger des cluski, je suis sortie en boîte électro-pop et j’ai aimé un maghrébin. Eh ho et ma différence ? J’avais 19 ans et refusais cette France qui m’assimilait. L’Angleterre s’offrait à moi, je voulais à nouveau être étrangère.

L’Angleterre fut enrichissante, on se sentait libre de se promener comme on voulait, les différences culturelles étaient acceptées, pas dérangeantes pour les autres. En fait, je connus peu d’anglais, à part la famille d’accueil et sa propre famille. Et quand je conversais, c’était sur la France. Les anglais nous acceptent différents mais nous regardent-ils ?

Le premier cours en anglais a été à la fois formateur et dérangeant dans son principe. La classe était divisée en plusieurs groupes par nationalité, les français d’un côté, les suisses de l’autre, les américains du sud dans le coin là-bas. Une liste était donnée, les pays, les qualités et les défauts. A nous d’ajouter une qualité et un défaut à chaque nationalité représentée.

Les suisses étaient vus comme propres par l’ensemble des autres. Les français se croyaient révolutionnaires, ils se virent qualifiés de râleurs et les argentins des révolutionnaires eux qui se voyaient ainsi. C’était drôle de voir les français arguer qu’ils étaient révolutionnaires, 1789, tout cela en anglais. La prof conclut par un « you see, you are naughty » calmant l’ensemble de la classe. Alors ici aussi, il y avait des attributions par pays. Moi bien sûr, j’étais dans le camp français, d’office. « Oui non, en fait, vous savez je suis… », « France », « ok ».

Les années ont passé, j’ai vécu ainsi, avec un nom que certains compliquent à souhait avec un c avant le k, des gnac pour le franciser, avec l’idée que forcément quand je prononçais mon nom c’était me cataloguer d’office, petite fille d’un polonais des années 20, parfois on me demandait si c’était deuxième ou troisième génération, petite fille d’émigré, catégorie pauvre, acceptée mais dans un coin.

Prononcer son nom est toujours un sacerdoce, l’épeler, annoncer le k final, attendre les réactions, aucune finalement.

Et puis un soir, dans une réunion où le whisky coule un peu, la fumée des hommes m’embrume, je suis là à écouter. Le vieil homme là parlera d’un autre, absent, un chieur, qui fait chier, un qui pense savoir, qui décide sans connaître, un vrai polak buté, têtu, qui ne comprend rien. Il serait mieux dans son pays.

Euh, je sursaute, ai-je bien entendu. Certains se trouvent gênés, surtout après ma réaction. « Oui vous savez bien ce que je veux dire, je ne parle pas de vous, c’est différent. Mais vous savez bien, les polaks comment ils peuvent être ».

« Les bagarreurs ont été expulsés sans association pour les défendre, lui est de la troisième génération comme moi, plus vieux certes, mais pourquoi dire polak, pourquoi parler de son pays, son pays c’est ici. Je reconnais il n’est pas facile, il faut toujours argumenter avec lui mais de là à sortir ces mots, c’est comme une gifle, ne dites pas cela. Faut-il parler comme vous pour être accepté ? N’a-t-il pas le droit d’avoir des propos différents sous prétexte qu’il porte un nom polonais ? ».

« Non non je ne suis pas raciste, et j’ai même mon meilleur ami qui était polonais ». Il prononcera quelques mots dans ma langue grand-maternelle. J’abandonne. 
Ça me rappelle ma sœur qui s’est terrée chez elle après que ses voisins lui aient bariolée les volets d’un « sale polak » vengeur et lâche. Dois-je me terrer aussi, j’en ai envie, rester chez moi à l’abri, loin de ces identités qui ne me regardent pas, m’oublient, me pèsent.

C’est quoi une frontière, un pays, une nationalité ? Est-ce que les barrières ne sont pas celles de la langue, de la culture ? Qu’est-ce une identité ? Si l’autre ne connaît pas tes origines, cela ne règle-t-il pas le problème de racisme ? Parle, souris, partage, ne dis pas aux autres qui tu es. Et si tu dis, assume, vocifère, défends-toi, reste seule, et parfois aussi rencontre, accepte de ne pas rencontrer tout le monde, de te priver d’une partie des autres.

Aujourd’hui où en est la « communauté » polonaise ? Je lis que les cérémonies de Noël dans les églises polonaises ont été annulées, faute de participants l’année précédente. Le pape n’est plus polonais. La communauté se délite dans les autres. Tant mieux ? Une fois les anciens disparus, certains se demanderont peut être pourquoi ces wczyk qui feraient tant de points au scrabble. Certains ne se poseront pas la question de savoir si on est de la deuxième ou troisième génération. Leur histoire sera notre histoire, nos ancêtres les gaulois.

Une amie a fait des recherches sur ses ancêtres, multipliant les voyages en Pologne, s’arrachant les cheveux sur les écrits et le manque d’écrit, pour finalement se retrouver en France, avec un ancêtre hussard napoléonien Leprince. « Tu te rends compte ? « J’ai cherché à comprendre mon nom en cinszki et j’ai trouvé Leprince. Je suis eux ».

Avec les élections municipales, des expositions sur la culture polonaise se montent, des invitations fusent vers la communauté polonaise, avec en invité spécial le Consul honoraire et me voilà destinataire des invitations. On se rappelle que ma communauté vote et vote pour eux. On me complaît dans ma communauté. On essaie de m’y maintenir. On me caresse dans le sens du poil. Mon poil reste cependant hérissé. Par « solidarité », la communauté ira voir cet artiste au nom imprononçable même par la quatrième génération.

La communauté polonaise se délite donc, nous ne formons qu’un avec tous ceux qui ont traversé cette France, qui y restent, accueillis ou pas. Certains travers demeurent, la critique de l’être parce qu’il porte un nom étranger est toujours d’actualité, pénible. Elle se source et se ressource incessamment, aidée par une crise envers l’Europe. Sans problème économique, les migrants seraient facilement acceptés. Mais la migration est trop souvent le fruit de problèmes. Rares sont ceux qui migrent par plaisir. Les Philippins voient leurs îles disparaître sous les flots, il faudra bien qu’ils se déplacent faute de terre. Qui aura assez de compassion pour les accueillir ? Nos voisins européens viennent, travaillent et repartent dans leur pays, aidés par des dispositions salariales avantageuses et parmi eux les polonais. Je les croise parfois, ils font leurs courses, parlent fort entre eux et je ne saisis que peu de mots. Notre langue n’est plus leur langue. Trop d’Histoire entre nous a coulé. Et quand j’annonce un timide Dzień dobry (bonjour), j’ai droit à un regard rigolard. Ah un polonais de France ! Il y a plus de polonais dans le monde qu’en Pologne, ils n’ont pas besoin d’apprendre la langue du pays visité, ils rencontrent toujours un polonais quelque part. Mon identité ? Ils sont ahuris, c’est ton histoire, c’est ta vie, pourquoi te poser des questions. C’est dur la France hein ? Vis, ne te pose pas de question, les Lumières sont passées, ne réfléchis pas, l’air est le même en Pologne, tu es citoyen du monde, de l’univers. Ca ira mieux quand E.T. débarquera ici. Pour ces polonais de Pologne, et voilà le drôle, je suis catégoriquement une française.

Etre née quelque part.
Mon pays c’est là où je suis.

 



30/06/2014
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