nuago

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La drôle d'aventure de dix minutes

Sortir les poubelles, une voiture garée en double file, tous feux allumés, warning en action, un gars s'agite à côté, et soudain se retourne et se dirige tout de go vers moi, toujours cette poubelle à la main, moi comme au ralenti, lui nerveux-brun-pas mal-voiture rouge-veste rouge. Il parle rapidement, à la limite de l'affolement, il a fermé la voiture moteur en marche, les clefs sur le volant, et elle s'est verrouillée automatiquement, la vilaine je pense je lui jette un oeil oh la coquine rutilante et clignotante. Il livre des pizzas qui sont en train de refroidir, est-ce que j'ai une voiture, puis-je le conduire où il veut ?

Bah oui. 

Je renoue mes chaussures, les bleues avec les lacets c'est long, dans mon esprit je suis longue, j'attrape mon sac, allez hop en route.

Il me donne l'adresse puis m'indique la route. Euh j'habite ici, dans cette ville, mais il connaît un raccourci, à gauche, à droite, tiens on passe devant le sauna privatif, à droite dans le cul de sac, ce n'est pas un cul de sac m'avoue-t-il, prenez à gauche du garage, il se penche vers moi, il sent la pizza, c'est horrible l'odeur de pizza qui imprègne les vêtements. Et puis soudain mon imagination s'affole, sur un prétexte, me voilà enlevée dans ma voiture et le cul de sac est un coupe-gorge. Je m'en fiche d'être violée, mais je ne veux pas de cette odeur de pizza sur moi. Rhoo à quoi je pense, "arrêtez-vous là", il descend, court, suit le chemin pédestre qui relie l'autre route. Ah d'accord. J'écoute Classic 21, les grèves des matons, l'image ternie de la Belgique et les millions investis pour la revaloriser. Je suis dans un film, une caméra cachée. 

Bah non.

Il revient, hop demi-tour, je ne dis rien, il me remercie tout le long, me dit qu'il espère que la voiture va accepter le double des clefs. Je pense à elle, la coquine, je lui raconte mon anecdote de voiture fermée les clefs à l'intérieur, en Normandie, le double resté dans le Pas de Calais, je stoppe le récit, il n'écoute pas, il est anxieux, angoissé. Je comprends, je suis passée par là, moi itou j'ai vécu ça. Le corps et l'esprit centrés sur ce détail : les clefs sont à l'intérieur, qu'on est con, et merde, tout ça. Et ensuite on en rit, mais pendant un laps de temps, rien d'autre ne compte. Peut être qu'il pourrait trouver que je sens bon, que je conduis bien, que je suis sympa. Bon ça ok il trouve que je suis sympa. Mais il aimerait que je conduise plus vite. Il me dit "non non à droite là". Eh là, je suis dans mon quartier, "je vais vous montrer mon raccourci". Je dis ça comme "je vais vous montrer mon décolleté", la voix suave, les gants de Rita Hayworth qui se retirent lentement. Rien. Je pourrais m'arrêter sur le côté pour l'embrasser, qu'il sauterait avant que je me penche pour continuer le chemin. Il ne voit rien, il ne s'appuie pas sur le siège, il est tendu comme un arc, c'est la première fois que je vois un corps ainsi. "Vous pourrez appeler je vous livrerai une pizza". Puis il saute presque en marche, il ouvre sa voiture, ouf lui, je fais mon créneau. Il revient vers moi, me tend son dépliant avec la liste des pizzas et repart en courant, saute dans sa voiture. Il roule vite, il n'aime plus sa voiture rouge, il la martyrise et fait cracher les vitesses. 

Je n'ai pas eu le temps de lui dire que je n'aime pas les pizzas, que je n'aime que celle de ma maman la pâte sablée détrempée par les tomates et les gros oignons presque cuits. Peut être qu'enfin il aurait ri. 



23/05/2016
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